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« Les jardineries doivent se transformer en centres de connaissances sur le changement climatique »

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Nous avons demandé à Dirk Ballekens, directeur de l’Association Belge des Jardineries (ABJ), ce qui s’est passé et ce qui se passera à l’avenir dans le secteur dess jardineries. Cette année, il a été obligé de constater que les jardineries belges sont brutalement passées de l’euphorie qu’elles avaient vécue lors de la crise du coronavirus à la réalité, qui est nettement moins rose. Les ventes exceptionnelles enregistrées au cours des deux années précédentes sont en effet retombées complètement à plat en 2022, laissant la place à de grandes déceptions face aux résultats commerciaux considérablement moins bons, puisque ceux-ci ne dépassent que de très peu ceux réalisés en 2019. « En 2020 et 2021, les jardineries ont connu une conjoncture vraiment exceptionnelle. Au début de la pandémie, elles ont eu très peur, mais au final, la situation s’est révélé être une véritable aubaine : les voyages à l’étranger étaient impossibles, l’horeca et la plupart des autres secteurs étaient fermés, etc., ce qui a poussé les consommateurs à investir en masse dans leurs jardins et l’expérience qui va de pair. Cette tendance a naturellement été très lucrative pour notre secteur, où le chiffre d’affaires moyen a connu des hausses de 20 % et plus. Dans 10 ans, les exploitants de jardineries seront sûrement encore nombreux à mentionner 2020-2021 comme étant leurs années les plus rentables. Hélas, les jardineries connaissent aujourd’hui un retour à la réalité plutôt brutal. Le modèle des jardineries a été attaqué sur plusieurs fronts ; songez notamment à l’inflation galopante, aux dépenses moins importantes des clients, à l’envolée des salaires, à la baisse de confiance des consommateurs, à la guerre en Ukraine, à la crise énergétique à grande échelle, etc. De nos jours, la gestion d’une grande jardinerie est donc réservée aux personnes dotées d’un mental d’acier. Heureusement, en novembre, nous avons pu voir se dessiner les premiers signes d’espoir, puisque les chiffres enregistrés dans les jardineries en octobre ont été très prometteurs. Cela est certainement dû au beau temps dont nous avons récemment pu profiter, ainsi qu’au léger rétablissement de la confiance des consommateurs maintenant que les prix du gaz semblent revenir plus ou moins à la normale. Ce sont principalement les catégories de produits de luxe, comme le mobilier de jardin, les barbecues, les piscines, les jacuzzis gonflables et la poterie, qui souffrent le plus de la situation actuelle. Les plantes, fleurs et autres végétaux – le cœur de métier des jardineries – tiennent relativement bien le coup, tout comme la nourriture pour animaux de compagnie. Ce sont donc surtout les jardineries de plus grande taille, qui misent fortement sur l’atmosphère, l’expérience client et les achats impulsifs, et qui avaient connu une explosion de leurs ventes durant la pandémie de COVID-19, qui sont à présent confrontées aux chutes de ventes les plus vertigineuses. »

L’inflation se fait clairement sentir Pour Dirk Ballekens, l’évolution la plus inquiétante qui a marqué l’année passée était tout de même l’inflation record. « En tant qu’historien de formation, je ne peux que constater que l’histoire se répète. Il y a plus de 40 ans, nous avons vécu la même situation. Cette évolution est une véritable catastrophe pour les détaillants : les produits qu’ils vendent deviennent considérablement plus chers et, pour couronner le tout, le pouvoir d’achat du consommateur est sous pression. Si l’on ajoute à cela le coût plus élevé du transport et des conteneurs, on comprend aisément pourquoi le prix de vente de plusieurs produits a littéralement explosé. Les arbres de Noël artificiels illustrent bien ce propos. En 2022, certains grands modèles se vendent plus de 50 % plus cher que l’année passée. Cela a d’ailleurs incité de nombreux fabricants à s’éloigner du modèle d’externalisation classique. L’époque où un produit pouvait être fabriqué pour trois francs six sous en Asie, puis transporté vers la Belgique pour une somme dérisoire, est aujourd’hui définitivement révolue.

Dirk Ballekens

Les prix de l’énergie ont de profondes répercussions Dirk Ballekens voit que la crise énergétique entraîne elle aussi des soucis du côté des jardineries. « Elles s’inquiètent bien sûr au sujet des factures élevées de gaz et d’électricité, mais la crise énergétique pose encore d’autres problèmes. Premièrement, je remarque que les prix élevés de l’énergie représentent un véritable challenge pour les fournisseurs de plantes et finiront par perturber tout l’assortiment de produits végétaux. Pour économiser de l’argent et de l’énergie, de plus en plus de cultivateurs ont en effet opté pour la culture froide et plantent moins d’espèces dans leurs serres. Cela se remarquera certainement dans les mois à venir au décalage qu’il y aura au niveau des proportions des différentes espèces de plantes et de fleurs provenant de cultures froides et chaudes. Pour la Toussaint et le jour des morts de cette année, cela se voyait déjà à l’abondance de chrysanthèmes. Cette situation inquiète de plus en plus de jardineries et pépinières qui proposent un vaste assortiment, car elles devront redoubler de créativité pour que leur assortiment soit suffisamment varié. Les exploitants de jardineries se rendent en outre bien compte que l’énergie ne sera plus vraiment bon marché à l’avenir, même si – à terme – les niveaux de prix actuels finiront certainement par redescendre. Cela les amène à se demander comment ils pourraient transformer ou (re)construire leur jardinerie pour que celle-ci soit prête à affronter le futur. Quels matériaux et quelles sources de chaleur vaut-il mieux utiliser ? Voilà une question à laquelle il est difficile d’apporter une réponse toute faite dans l’immédiat. Je m’attends toutefois à ce que la crise énergétique entraîne une accélération des travaux de construction et de rénovation dans maintes jardineries. Les exploitants réfléchissent aussi de manière plus approfondie à leur rendement par mètre carré, ainsi qu’à l’optimisation des zones chauffées dans les serres. »

Des centres de connaissances sur le changement climatique Pourtant, Dirk Ballekens ne voit pas l’inflation et les prix de l’énergie comme étant les principaux défis que les jardineries devront surmonter dans les années à venir. « Je suis persuadé que la problématique qui impactera le plus les jardineries est le changement climatique. Ce n’est pas quelque chose dont on ne parlera que dans le futur, puisque cette question est déjà au cœur de tous les débats à l’heure actuelle. On voit déjà que les aménagements de jardins actuels sont totalement différents de ceux que l’on pouvait voir il y a deux décennies. Les entrepreneurs de jardins et paysagistes optent aujourd’hui pour des espèces que l’on ne plantait autrefois qu’en France, entre la Loire et Bordeaux. Au final, cela signifie que – tant pour les cultivateurs de plantes que pour les jardineries – certaines espèces de plantes perdront en popularité ou disparaîtront carrément pour de bon. Cette évolution constitue d’une part une menace, mais offre d’autre part aussi de nouvelles opportunités pour les jardineries les plus ingénieuses. Ces dernières disposent en effet de plusieurs outils pour accompagner les consommateurs de façon optimale dans ce processus de changement et en faire un succès commercial. Les jardineries qui proposent un vaste assortiment de plantes sont de véritables centres de connaissances. Avec leur savoir-faire et leur expérience, elles sont parfaitement à même de conseiller les consommateurs et de les informer sur la manière dont il faut aborder la question de la transition climatique dans leurs jardins. Chez l’ABJ, nous sommes actuellement en train de développer des concepts climatiques (tant au niveau de l’éducation qu’en ce qui concerne le merchandising) et de les transposer dans les jardineries. Avec l’ABJ, nous voulons jouer un rôle de liaison entre les jardineries et les consommateurs. D’une part, nous tenons à faire en sorte que les points de vente suivent la même direction dans laquelle nous évoluons. Et d’autre part, nous devons faire comprendre aux consommateurs que les jardineries sont l’interlocuteur idéal pour toutes leurs questions sur l’impact que le changement climatique a ou aura sur leur jardin. À ce niveau, il y aura certainement des opportunités très intéressantes à exploiter dans les années à venir, car le consommateur cherchera un environnement capable de créer une atmosphère bien particulière, un assortiment à la fois vaste et varié de produits, sans oublier un savoir-faire hors pair, et personne ne peut mieux répondre à tous ces critères qu’une jardinerie. »

Séduire la jeune génération « Les jardineries vont aussi devoir faire des efforts pour attirer les enfants du numérique », ajoute Dirk Ballekens, pour conclure. « Les jardineries accueillent en général un public plus âgé, comme le révèle aussi l’enquête de GfK sur les achats de produits d’horticulture ornementale. Ce sont en effet des entreprises qui procurent du plaisir – souvent avec une partie horeca – où le client passe assez bien de temps. Et c’est justement le temps qui manque souvent aux jeunes consommateurs. Mais c’est aussi cette même génération qui offre de nouvelles opportunités aux jardineries, car ce sont surtout les ‘digital natives’ qui ont des questions (critiques) sur le changement climatique et la durabilité. Et comme nous l’avons déjà indiqué plus haut, ce sont justement les jardineries et pépinières qui sont le mieux placées pour leur répondre et les conseiller. Les jeunes découvrent les nouveautés principalement via leur smartphone et se rendent généralement vers un environnement urbain. En prévoyant une communication claire sur les questions relatives au climat, les exploitants de jardineries peuvent certainement atteindre ce groupe cible et le convaincre de faire ses achats dans leurs magasins, qui se trouvent souvent à la campagne. »

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